Prévenir les difficultés d’une entreprise c’est prévenir une cessation de paiements, c’est-à-dire « l’impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible ». L’actif disponible est l’actif qui permet immédiatement de payer: ce sont les disponibilités en banque ou en caisse, les découverts autorisés pour la partie non utilisée, les « réserves » de crédit, les effets de commerce immédiatement mobilisables (possibilités d’escompte, de DAILLY ..) L’objectif est donc ici de protéger l’entreprise et d’assurer sa pérennité.
1/ l’évolution du droit des entreprises en difficulté
Traditionnellement, le droit de la faillite avait pour objectif de sanctionner les marchands malhonnêtes. Au Moyen Âge, on cassait les bancs sur lesquels ils exerçaient leur activité dans les marchés (d’où le terme de « banqueroute » ou de « bancs rompus »). Il s’agissait de dénoncer les abus. Cette dimension “fautive” des difficultés de l’entreprise a longtemps influencé le mode de règlement des créanciers au détriment parfois de la pérennité de l’entreprise, en assimilant le gérant à l’organisation de l’entreprise.
La loi du 13 juillet 1967 distingue l’entreprise de l’homme qui la dirige mais donne la priorité aux créanciers. Première inflexion à cette logique, la loi du 25 janvier 1985 permet la sauvegarde de l’entreprise, le maintien de l’activité et de l’emploi et l’apurement du passif, même au détriment des créanciers, des actionnaires et des dirigeants. On sort de la logique de la faillite “punitive” pour développer une approche plus globale et complexe de l’entité économique.
À partir de 2005, l’objectif, clairement annoncé, est de sauvegarder l’entreprise. Les textes de lois votés à partir de cette date, en particulier la loi du 26 juillet 2005, renforcent la possibilité de prévenir les difficultés par des mécanismes d’obligations comptables et d’alertes et par la création d’une procédure amiable de conciliation permettant au dirigeant de l’entreprise de trouver un accord avec ses créanciers.
L’ordonnance du 12 mars 2014 a renforcé et étendu ces mesures de prévention. Le débiteur est incité à faire preuve de davantage de réactivité en cas de difficulté de son entreprise. Concernant les créanciers, les réformes prévoient une augmentation des moyens de détection des difficultés des entreprises. L’ordonnance du 12 mars 2014 vise notamment à renforcer la sécurité juridique autour des crédits accordés aux entreprises.

Enfin, les réformes du droit des entreprises en difficulté visent également à améliorer l’impartialité et l’indépendance des organes de procédure.
2/ Les mécanismes de prévention des difficultés
A/ L’obligation de publier les comptes
La tenue de la comptabilité est imposée par le Code de commerce, art. L. 123.12 s. à toutes les personnes physiques ou morales ayant la qualité de commerçant. Par ailleurs, certaines sociétés (parmi lesquelles les SARL, les SA, les SAS et les SNC) sont tenues de déposer leurs comptes au greffe du tribunal de commerce, ce qui les rend accessibles à toute personne, en particulier aux fournisseurs et aux concurrents.
Cette obligation s’inscrit dans une logique de loyauté du débiteur vis-à-vis de son créancier, à travers la transparence de la situation financière de l’entreprise. Toute personne intéressée à la santé financière de l’entreprise peut ainsi vérifier la solvabilité de l’entreprise, son endettement et sa capacité à gérer des profits.
Cette obligation peut être préjudiciable à l’entreprise car elle renseigne la concurrence, risquant d’entraîner la méfiance des fournisseurs. La comptabilité, figée à un instant T, ne révèle pas les flux d’argent comme dans le cas de la gestion de la trésorerie. Il est nécessaire de tenir à la fois une comptabilité stricte et de vérifier l’état de la trésorerie.
B/ Des procédures d’alertes pour la prévention des difficultés des entreprises
Plusieurs personnes ou organismes peuvent déclencher une procédure d’alerte lorsqu’ils ont connaissance de faits qui paraissent préoccupants pour la pérennité de l’entreprise.

Adhésion à un groupement de prévention agréé
Un commerçant ou artisan, ainsi qu’un EIRL, et toute personne morale de droit privé peut adhérer à un groupement de prévention agréé par arrêté du préfet de région.
Ce groupement fournit à ses adhérents, de façon confidentielle, une analyse comptable et financière des informations que ceux-ci s’engagent à lui transmettre. Lorsqu’il détecte des indices de difficultés, il en informe l’adhérent et peut lui proposer l’intervention d’un expert. Les administrations prêtent leur concours aux groupements de prévention agréés. La Banque de France peut aussi être appelée à donner des avis sur la situation financière des adhérents.
L’alerte du comité social et économique de l’entreprise
Lorsque le comité social et économique a connaissance de faits pouvant affecter la situation économique de l’entreprise, il peut demander des explications à l’employeur. Si les réponses sont jugées insuffisantes ou si elles confirment la situation détectée, le comité social et économique peut décider d’adresser un rapport à la direction et aux commissaires aux comptes. Les informations communiquées ont un caractère confidentiel.
L’alerte du commissaire aux comptes
Le commissaire aux comptes d’une entreprise doit alerter le dirigeant de l’entreprise dès qu’il relève des faits susceptibles de « compromettre la continuité de l’activité » (Article L. 234-1 du code de commerce).
Lorsque le dirigeant, informé des difficultés par le commissaire aux comptes, ne répond pas à celui-ci, ne lui donne pas de réponse satisfaisante ou lorsque les décisions prises à l’issue de l’assemblée générale ne permettent pas d’assurer la continuité de l’exploitation, le commissaire aux comptes peut demander à être entendu par le président du tribunal.
L’alerte par les associés
Les associés et les actionnaires informés des faits de nature à compromettre la continuité de l’activité peuvent alerter la direction de l’entreprise par le biais d’une question écrite.
La réponse doit être communiquée au commissaire aux comptes, qui peut alerter le président du tribunal de commerce s’il le juge utile.
L’alerte par le président du tribunal de commerce ou du TGI
Le président du tribunal de commerce où l’entreprise a son siège social peut, lorsqu’il a connaissance des difficultés d’une entreprise, convoquer son dirigeant à un entretien, pour que soient envisagées avec lui les mesures propres à redresser la situation.
Il peut si nécessaire, obtenir des commissaires aux comptes, des administrations, des organismes sociaux et de la Banque de France, des renseignements de nature à lui donner une exacte information sur la situation de l’entreprise.
Le magistrat dispose d’un droit de communication dans le cadre d’une procédure d’alerte engagée par le commissaire aux comptes : il peut obtenir du commissaire aux comptes, des membres et représentants du personnel, des administrations publiques, des organismes de sécurité et de prévoyance sociales ainsi que des services chargés de la centralisation des risques bancaires et des incidents de paiement, des renseignements pour avoir une information exacte sur la situation économique et financière de la société.
Le président du tribunal de grande instance (TGI) peut procéder de même à l’égard des personnes morales ou physiques exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante, ou une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire.
III. Le traitement amiable des difficultés
L’entreprise qui fait face à des difficultés sans être en cessation de paiements peut opter pour une procédure de règlement amiable.
A/ Le mandat ad hoc
Le mandat ad hoc est une procédure, préventive et confidentielle, de règlement amiable des difficultés, dont le but est de rétablir la situation de l’entreprise avant qu’elle ne soit en cessation des paiements. Il peut s’agir de difficultés financières par exemple : non-respect des échéances normales de paiement des fournisseurs, multiplication des inscriptions de privilèges. Il peut s’agir également de situations de blocage : litiges entre associés pouvant entraîner la paralysie de l’entreprise par exemple.

Mise en oeuvre
Le débiteur peut demander au président du tribunal de commerce ou au président du TGI la désignation d’un mandataire ad hoc. Le président, après acceptation de la demande, fixe l’objet de la mission, sa durée ainsi que les conditions de la rémunération du mandataire, après accord du débiteur. La décision nommant le mandataire ad hoc est communiquée pour information au commissaire aux comptes. Le débiteur n’est cependant pas tenu d’informer le comité d’entreprise ou les délégués du personnel de la désignation d’un mandataire ad hoc.
Missions du conciliateur
Le mandataire ad hoc a souvent pour mission d’aider le débiteur à négocier un accord avec ses principaux créanciers afin d’obtenir des rééchelonnements de dettes, mais il peut aussi être amené à résoudre toutes autres difficultés rencontrées par l’entreprise. Pendant la durée du mandat, le débiteur reste seul dirigeant de son entreprise.
B/ La conciliation
La procédure de conciliation, qui est confidentielle, a pour but de trouver un accord amiable entre l’entreprise et ses principaux créanciers et partenaires.Pour en bénéficier, l’entreprise doit rencontrer des difficultés juridiques, économiques ou financières existantes ou prévisibles, mais elle ne doit pas se trouver en état de cessation des paiements (sauf si elle l’est depuis moins de 45 jours).

Mise en oeuvre
La demande est effectuée par le débiteur auprès du président du tribunal (commerce ou de grande instance). Après acceptation de celle-ci, le président désigne désigne un conciliateur. qui peut être proposé par le débiteur.
Lors de la désignation du conciliateur, le président du tribunal fixe également les conditions de rémunération, après accord du débiteur et avis du procureur de la République.
La désignation est prévue pour une période de 4 mois maximum, qui peut être prolongée jusqu’à 5 mois.
Missions du conciliateur
Le conciliateur a pour mission de favoriser la conclusion d’un accord amiable entre le débiteur et ses principaux créanciers et partenaires, destiné à mettre fin aux difficultés de l’entreprise et assurer sa pérennité. Il peut présenter des propositions en vue de la sauvegarde de l’entreprise, de la poursuite de l’activité et du maintien de l’emploi. Il peut également se voir confier la préparation d’une cession partielle ou totale de l’entreprise qui pourra être mise en œuvre dans le cadre d’une éventuelle procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire.
L’accord de conciliation
L’accord de conciliation doit permettre à l’entreprise d’obtenir des rééchelonnements ou des remises de dettes, des crédits nécessaires à la poursuite de l’activité ou encore d’envisager une restructuration. Lorsque la négociation aboutit, les parties peuvent demander au président du tribunal de constater leur accord, ce qui lui donnera force exécutoire. L’accord ne fait l’objet d’aucune publicité ; seuls les signataires en ont connaissance. Les créanciers qui ne l’ont pas signé n’y sont pas tenus et peuvent poursuivre leur débiteur, si nécessaire.
La décision constatant l’accord n’est pas susceptible de recours. En principe, l’accord négocié ne fait l’objet d’aucune publicité.
L’homologation
Toutefois, pour donner une plus grande force à l’accord négocié, le débiteur peut demander son homologation au tribunal. L’accord homologué produit des effets importants : outre l’interdiction ou l’arrêt de toute poursuite en justice de la part des signataires, il entraîne la levée de l’interdiction d’émettre des chèques pour le cas où elle existait avant la conciliation. Enfin, les créanciers ou partenaires, qui, dans le cadre de la procédure de conciliation, apportent soit des fonds, soit des biens ou des services, bénéficient d’un privilège, en obtenant une priorité de paiement sur les autres créanciers, si par la suite l’entreprise est l’objet d’une sauvegarde, d’un redressement ou d’une liquidation judiciaires.
A l’inverse, si la conclusion d’un accord s’avère impossible, le président du tribunal met fin à la mission du conciliateur ainsi qu’à la procédure de conciliation.